Claire Sibille est psychothérapeute intégrative, praticienne EMDR et éco-thérapeute. Elle s’intéresse depuis longtemps aux différents outils naturels permettant d’évoluer et de guérir, tant pour elle que pour les personnes qu’elle accompagne. Pour faire face à un deuil difficile, elle a jeûné pendant 10 jours, ce qui l’a transformée profondément. Elle a raconté dans un livre son expérience, enrichie de son regard pointu de thérapeute ; je l’ai découvert à l’occasion de mon premier jeûne et il m’a captivée. Pour elle, le jeûne est aussi une thérapie des émotions. Dans cet interview, je l’ai invitée à discuter de cette vision et de sa pratique de psy passionnée et passionnante.
Pouvez-vous présenter votre activité et votre cheminement jusqu’au jeûne ?
Claire Sibille : Je suis psychothérapeute, spécialisée dans le domaine du psychotraumatisme ; l’EMDR et l’écriture thérapeutique sont deux outils fondamentaux dans ma pratique. Je travaille plus particulièrement sur les liens d’attachement et les structures familiales complexes ; et à ce titre, j’accompagne beaucoup d’adolescents et également des femmes victimes de violences.
Ma connaissance du jeûne n’est pas nouvelle car je me suis toujours intéressé aux sociétés traditionnelles, aux peuples premiers et à l’étude des religions qui connaissent bien cette pratique, notamment à l’occasion d’un deuil. Par ailleurs, ma mère était pour son époque plutôt originale, adepte déjà dans les années 70 de la naturopathie et du jeûne qu’elle réalisait plusieurs semaines par an. J’ai baigné dans cette culture qui a influencé indéniablement mon parcours.
A l’occasion de la perte de ma mère il y a dix ans, un deuil difficile, par le plus grand des hasards, j’ai (re)découvert le jeûne et il ne m’a plus quittée depuis. Je le pratique à présent chez moi ou en groupe selon mon envie. La démarche est devenue naturelle et par la répétition de l’expérience, mon corps l’a complètement intégré et n’exprime plus d’effet secondaire.
Vous jeûnez à présent régulièrement ; quelle a été votre plus grande difficulté lors de votre initiation ?
J’ai vécu une crise assez forte d’acidose les premiers jours, découlant du relargage important des toxines, ce qui est assez classique. Des douleurs sont revenues, en lien avec le réveil des mémoires du corps. S’agissant des émotions, je les ai accueillies et notées dans un carnet tous les jours ; tout s’est bien passé pour moi à ce niveau. Mais, j’ai observé autour de moi des jeûneurs très bousculés par la détox émotionnelle. Le jeûne est une aventure où l’on peut contacter un vide intérieur, laissant libre cours aux mémoires traumatiques. Et les personnes ne sont pas toujours préparées à cette irruption. Il y a aussi des personnes qui évitent cette confrontation, c’est une stratégie de survie ou les conséquences d’une dissociation traumatique, dans ce cas il n’y a pas de risque, mais il n’y a pas non plus possibilité d’utiliser le pouvoir thérapeutique du jeûne sur cet aspect psycho-émotionnel de la personne. Tout reste en l’état. La démarche n’en reste pas moins utile pour l’organisme.
Quelle est la relation entre émotions et corps ? Comment le jeûne trouve-t-il une place utile ?
L’alimentation est un mode de compensation puissant pour calmer momentanément les émotions perturbantes. C’est en plus un élément essentiel de notre existence. La nourriture nous parle des liens premiers, très chargés affectivement, elle prend beaucoup de place dans notre existence. Lors d’un jeûne, nous ne mangeons plus ; le corps est placé dans les meilleures conditions pour se réveiller, ce qui fait remonter des sensations physiques et émotionnelles potentiellement intenses. Si la personne est disposée à les écouter, cette expérience lui permettra d’évoluer intérieurement. Le travail sur le corps par le biais du jeûne facilite celui sur les émotions. Il crée un espace libre pour l’accueil.
Dans votre livre sur le jeûne une thérapie des émotions, vous développez l’intérêt de cette méthode pour atténuer les troubles psychiques et émotionnels. Mais elle est exigeante et n’est pas à portée de tous ; y-a-t-il des contre-indications ? Existe-t-il des études scientifiques sur ce sujet ?
Le livre de référence de Thierry Lestrade cite les travaux du psychiatre russe, Youri Nikolaïev, qui a testé dans les années 60 le jeûne long sur une cohorte importante de patients atteints de problèmes psychiques (dépression, psychoses, délires de persécution…). Les résultats ont mis en évidence une atténuation de leurs troubles et durablement. Selon ce médecin, un jeûne a les mêmes effets qu’un médicament psychotrope et calme les douleurs émotionnelles fortes.
Dans ma pratique, j’observe également l’intérêt du jeûne pour traiter la dépression. Il ne produit aucun miracle mais les personnes contactent un sentiment de joie profonde et de libération intérieure qui leur ouvre de nouveaux horizons. Quant à l’anxiété, c’est une peur chronique métabolisée dans le corps. Le jeûne renvoyant à la peur fondamentale du manque et de l’abandon, les personnes ressortent plus fortes en traversant cette expérience, et plus à même de lutter contre les troubles anxieux et/ou les crises d’angoisse. Cela ne dispense, bien évidemment pas, d’une psychothérapie et d’un traitement médical complémentaire en cas de problématiques complexes.
Les troubles du comportement alimentaire, en particulier l’anorexie, sont un obstacle, voire une contre-indication majeure en fonction de leur gravité. La dépression n’est pas déconseillée sauf si elle est grave. Il est en revanche essentiel que les jeûneurs évoluent librement et sans jugement tout au long de leur séjour, avec la possibilité de suivre ou pas les activités proposées. Cela leur permet de respecter leurs besoins et surtout leurs limites.
Le jeûne crée un vide qui se remplit autrement, le vide appelle toujours le plein. De la présence de Dieu, pour les plus religieux, de la présence de l’absent pour ceux qui font aussi du jeûne un rituel de deuil. Le jeûne libère de l’espace pour le deuil. Je me nourris de ma mère morte, je l’intègre, je l’assimile, je la reconnais en moi et peux ainsi la laisser partir.
Extrait du livre de Claire Sibille
Comment analysez-vous le lien entre jeûne et spiritualité ?
J’insiste sur l’importance de redéfinir la spiritualité car c’est un terme un peu fourre-tout de nos jours. Selon moi, elle représente un lien essentiel qui nous unit non seulement à notre être profond mais au reste du monde, à l’univers, la nature, aux autres humains. Le jeûne est une forme de méditation qui, par le vide, ouvre un espace pour ce lien. Je n’adhère pas au terme de spirituel car étymologiquement, il signifie « ce qui est opposé au corps ». Pour moi, la spiritualité est ancrée dans le corps, les émotions et les sensations ; le jeûne permet de s’y connecter. C’est d’ailleurs l’une des dimensions les plus bouleversantes de l’aventure, selon moi.
La société de surconsommation cherche à combler en permanence le manque ; le jeûne va complètement à son encontre. Comment se fait-il que certaines personnes s’y intéressent et pas d’autres ? Y a t il un profil plus apte à s’y confronter ?
La très grande majorité des personnes ne jeûneront jamais de leur vie quand d’autres rencontreront cette expérience et auront naturellement envie de s’y plonger. Il est intéressant de chercher à comprendre pourquoi cet appel intervient à un moment dans leur vie ; il n’y a en général pas de hasard. Je ne pense qu’il y a un profil particulier. Néanmoins, dans les retraites, on rencontre essentiellement des femmes, soucieuses de santé et de nature.
Certains pratiquants se tournent vers le jeûne pour maigrir alors que cela n’est pas l’objectif principal. Au lieu de se laisser porter pleinement par l’expérience, ils cherchent à atteindre des résultats. Peut-on craindre que cette technique soit utilisée à mauvais escient ?
Il est vrai que certains jeûneurs se tournent vers le jeûne pour perdre du poids ; mais l’allégement est souvent de très courte durée. La reprise alimentaire est une étape fondamentale et elle n’est pas toujours bien suivie. La démarche doit s’intégrer dans une transformation globale de l’hygiène de vie sur le long terme ; sans cela, elle n’a que très peu d’intérêt.
Dans votre livre, vous écrivez : « Quand on jeûne, on peut tout faire ensuite ». Le corps contient en lui une force insoupçonnée, et le jeûne permet de le ressentir. L’impact sur la confiance en soi est palpable aussi. Quel regard de thérapeute portez-vous sur cette dimension-là?
Le jeûne constitue un support de résilience efficace, ce que permet d’ailleurs aussi l’écriture. La conscience de soi change par la découverte de ressources intérieures ignorées, ce qui donne une force incroyable pour reprendre ensuite sa vie. Au terme de la cure, le jeûneur se sent vivant, relié, et fort d’une nouvelle estime de lui-même !
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Le jeûne : une thérapie des émotions ?, Claire Sibille, Éditions Exuvie