Un certain nombre de croyances circule sur le lien entre stress et cancer ; il n’est pas rare que les personnes touchées par cette maladie soient convaincues qu’un choc ou un évènement stressant sont en cause. Il est certain que les tensions sont délétères pour la santé, mais elles ne sont pas non plus coupables de tous les maux. S’agissant du cancer, que nous révèle la science sur ce point ? Faut-il se limiter aux conclusions des chercheurs ? Les malades et les médecins n’ont-ils pas un ressenti personnel à confier ? Regards croisés sur une question délicate liée à une pathologie complexe et encore mystérieuse.
Les effets du stress sur la santé
Avant d’aborder dans le détail le lien entre stress et cancer, commençons par ses effets sur la santé. Je ne vous apprends rien : si le stress est une réaction naturelle de l’organisme qui s’adapte à une situation inhabituelle, il devient dangereux pour la santé quand il se prolonge : il est responsable de maladies cardiovasculaires (crise cardiaque, AVC…), abîme les intestins, nuit à l’équilibre psychique, affaiblit les forces du corps et le système immunitaire, sans compter les comportements malsains associés : alimentation de réconfort (grasse et sucrée), alcool, tabagisme, manque de sommeil, addictions…
Il influence notre santé bien plus qu’on ne le pense et nous ne sommes pas tous égaux sur ce plan : certaines personnes résistent mieux dans la durée quand d’autres développent plus rapidement des troubles. Irritabilité, nervosité, fatigue, maux de tête, insomnies… Tels sont les signes persistants du stress chronique, qui doivent alerter. Le monde actuel est source de tensions et impacte la vie de chacun plus fortement que par le passé, sous l’effet de crises répétées de différentes natures. Un sondage IFOP de mai 2022 est édifiant : 95 % des Français ont déclaré connaître au moins une source de stress ou d’anxiété. Chiffre préoccupant, 30 % n’ont pas cherché à agir pour se sentir mieux, notamment les hommes moins soucieux de leur bien-être en général. Ils s’en accommodent sans avoir conscience que la résistance du corps est limitée.
Et le lien entre stress et cancer ?
Nous en savons plus aujourd’hui sur les principaux facteurs de risques cancérogènes. De nombreux paramètres entrent en jeu et sont susceptibles d’interagir entre eux. Selon l’INCa, quatre principaux facteurs externes ressortent en lien avec les modes de vie, à savoir le tabac (20 % des tumeurs), l’alcool (8 %), l’alimentation déséquilibrée (5 %) et le surpoids (5 %). D’autres paramètres ont été recensés, mais pèsent pour moins de 5 %, comme certaines infections, les expositions professionnelles, les UV, la sédentarité, les radiations ionisantes, etc. Dans l’idéal, en maîtrisant l’ensemble des facteurs externes, 40 % des cancers pourraient être évités. Parmi ces données officielles de l’INCa, aucune ne fait référence directement au stress même si celui-ci est présent en arrière-plan. Par les mauvaises habitudes de vie qu’il favorise, le stress représenterait plutôt un facteur cancérigène secondaire.
Toujours selon l’INCa, il n’y a pas de preuve scientifique attestant du lien entre stress et cancer.
Précisons que la science se heurte aux mystères de la biologie du corps et n’est pas en capacité d’affirmer que la maladie résulte d’une cause unique. De plus, la présence d’un ou plusieurs facteurs de risque n’entraînera pas nécessairement la pathologie : les scientifiques ont simplement observé une plus grande proportion de tumeurs chez les personnes exposées à ces facteurs. Un exemple très parlant est le poumon : tous les fumeurs ne développeront pas un cancer du poumon tandis que d’autres n’ayant jamais fumé seront touchés. Il y a encore des incertitudes sur les causes de la maladie, ce qui peut donner lieu à des interprétations hasardeuses. À la question « pourquoi ? », il est préférable de chercher à tirer parti de cette expérience pour aller de l’avant et transformer son hygiène de vie globalement.
Révélations de la science sur la relation entre évènements stressants et survenue d’une tumeur
-En France, une revue scientifique réalisée en 2009 à partir d’une trentaine d’études n’a pas mis en lumière de lien entre stress et cancer. Au sein du panel d’études, certains résultats se sont avérés contradictoires, ne permettant pas aux chercheurs de dégager une grande tendance significative.
-Une étude (1) européenne parue en 2013 n’a pas identifié de relation entre le stress au travail et le risque de développer un cancer du sein, de la prostate, du poumon et colorectal. Néanmoins, certains milieux professionnels exposés à des substances cancérigènes peuvent entraîner la survenue de certaines tumeurs.
-Des travaux (2) prospectifs publiés en 2017, portant sur une cohorte de plus de 100 000 Japonais, n’ont détecté aucun lien entre stress et cancer de façon globale. En revanche, en s’intéressant au niveau de stress perçu, les travaux ont relevé une corrélation fine entre le risque de contracter la maladie et un stress élevé (par rapport à un stress faible). Chez les personnes ayant déclaré des tensions fortes sur le long terme, la probabilité de cancer croît de 11 %, et de façon plus marquée chez les hommes.
-Une étude (3) de 2019 a permis d’identifier le rôle joué par une hormone impliquée dans la régulation du stress, l’épinéphrine, dans la prolifération de la tumeur chez les souris. Les résultats à ce stade ne peuvent pas être extrapolés chez l’homme, mais ces conclusions ouvrent de nouvelles pistes de recherche.
Au vu de ces quelques exemples, il semble assez clair que le lien entre stress et cancer ne peut pas être établi scientifiquement. Sans remettre en cause la robustesse du travail des chercheurs, précisons que la réalisation de ce type d’études se heurte à des contraintes méthodologiques.
- Selon que le stress est estimé avant ou après la maladie, l’opinion peut être différente. Après un diagnostic de cancer, les malades peuvent avoir tendance à sur-évaluer leur état antérieur.
- Le délai entre l’apparition d’un évènement stressant et l’apparition de la tumeur peut être long, voire très long (plusieurs dizaines d’années), ce qui ne facilite pas la définition d’une causalité éventuelle.
- Comme évoqué plus haut, les causes d’un cancer sont multifactorielles. Les études doivent composer avec de nombreux paramètres qui interfèrent ou se confondent avec le stress, ce qui complexifie l’analyse.
Qu’en pensent les patients et leurs médecins ?
Au-delà des éclairages de la recherche sur le lien entre stress et cancer, une autre réalité existe, celle des malades et des oncologues.
Le ressenti et l’intuition des malades
Lorsqu’ils témoignent de leur vécu, certains sont formels en établissant une relation directe entre l’apparition de leur tumeur et leur vie stressante. La maladie est souvent l’occasion de regarder autrement les évènements de l’existence. La connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur passé leur permet de savoir mieux que quiconque ce qui s’est joué en eux. Cette part intime de leur être est peu accessible aux expérimentations scientifiques. « Je pense que le corps médical a tendance à écarter un peu rapidement l’hypothèse du stress générateur de cancer. Personnellement, je reste intimement convaincue que ce facteur a été crucial dans l’apparition de ma maladie. Et ce n’est pas parce que rien n’a été prouvé que l’éventualité doit être dénigrée… » (4), souligne une patiente.
Mon activité de naturopathe spécialisé sur le cancer m’amène à rencontrer des personnes ayant affronté cette pathologie, comme cette cliente en rémission d’un cancer du sein qui me confiait n’avoir aucun doute sur la relation entre le déclenchement de sa maladie et la tumeur de sa mère diagnostiquée quelques mois plus tôt. Le choc d’une telle annonce et la peur de perdre l’une des personnes les plus importantes de sa vie, l’ont, selon sa propre analyse, conduite inconsciemment à maintenir le lien en tombant malade pour livrer avec sa mère un combat identique. Les faits qu’elle relate sont quelque peu troublants.
Le propos n’est pas de généraliser l’existence d’un lien entre stress et cancer à partir du point de vue de patients, mais y accorder du crédit me semble plus juste que de s’en tenir uniquement aux résultats scientifiques.
Dans son livre Anticancer, le psychiatre David Servan-Schreiber a exploré ce sujet ayant été touché lui-même par un cancer très grave. Il évoque le sentiment d’impuissance qui alimente la croissance tumorale en se référant à une méta-analyse de 2008 réalisée par des psychobiologistes de l’université College de Londres ; cette étude a conclu que les facteurs psychosociaux liés au stress sont corrélés à une hausse du risque de cancer chez des personnes en bonne santé. Ces paramètres incluent notamment le sentiment d’impuissance qui produit une libération d’hormones (noradrénaline et cortisol) activant les mécanismes d’inflammation du corps, propices à l’évolution des tumeurs. En parallèle, pour répondre à l’urgence, cet état de tensions suspend les fonctions non prioritaires de l’organisme, dont le système immunitaire qui se met en veille.
Pour David Servan Schreiber, ce n’est pas tant le stress qui provoque le cancer que la façon dont nous y répondons, et notamment les sentiments d’abandon, d’impuissance et de déséquilibres internes qui envahissent le quotidien.
L’observation des médecins et oncologues
Le lien entre stress et cancer est connu aussi des acteurs sur le terrain qui côtoient les malades et accèdent à une part de leur parcours de vie.
–Thierry Janssen, ancien chirurgien devenu thérapeute, a accompagné des malades et explique que les chocs émotionnels ne sont pas neutres dans le développement rapide d’une tumeur, même si de nombreux chercheurs doutent de ce postulat. Selon lui, il est possible d’imaginer que « des cellules non encore cancéreuses, mais déjà fragilisées par différents agents toxiques ou un stress chronique, deviennent subitement malignes sous l’effet des bouleversements biologiques dus à un stress chronique. » (5)
-David Khayat, un cancérologue réputé, n’hésite plus à affirmer que les émotions négatives et le cancer sont associés. Réticent à cette idée pendant des années, son expérience auprès des malades l’a amené à revoir sa position. Dans l’un de ses ouvrages, il écrit ceci : « Si rien de scientifique ne peut en être retenu, l’oncologue que je suis ne peut en aucune façon ne pas s’interroger, ne pas être convaincu par ces centaines de milliers de cas qui ont tous un point commun, celui du choc, d’un stress. » (6)
-Henri Joyeux, chirurgien cancérologue et universitaire, a traité dans l’un de ses livres du lien entre stress et cancer et est également affirmatif sur le sujet : le stress constitue un terrain idéal pour la survenue d’une telle maladie et bien d’autres d’ailleurs, en raison notamment de l’affaiblissement immunitaire.
Pour conclure, à la question : le stress peut-il provoquer un cancer ?, il n’y a pas une seule réponse évidente. Si cet état prolongé n’est probablement pas suffisant pour induire cette pathologie, ses effets négatifs sur le corps sont de nature à préparer son terrain. Pour réduire le risque de développer un cancer ou n’importe quel autre problème, il est conseillé d’agir sur tous les leviers de l’hygiène vitale et pas uniquement le stress. Manger sainement, faire de l’exercice, se reposer, développer un esprit positif sont autant de paramètres permettant de fortifier son immunité et rester en bonne santé !
Pour approfondir, mes conseils de lecture :
Anticancer, David Servan-Schreiber, Pocket
La solution intérieure, Thierry Janssen, Pocket
L’enquête vérité, David Khayat, Albin Michel
(1) Work stress and risk of cancer: meta-analysis of 5700 incident cancer events in 116 000 European men and women, British Medical Journal, 2013
(2) Perceived stress level and risk of cancer incidence in a Japanese population: the Japan Public Health Center, 2017
(3) Stress-induced epinephrine enhances lactate dehydrogenase A and promotes breast cancer stem-like cells, Journal of Clinical Investigation, 2019
(4) Source : « Le stress donne-t-il le cancer ? », RoseUp Association, juin 2018
(5) La solution intérieure, Thierry Janssen, Pocket
(6) L’enquête vérité, Albin Michel, 2018
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